2.2.Céramiques archéologiques. 2.2.1.Céramiques archéologiques et analyses physico-chimiques L’étude de pièces archéologiques céramiques est une des investigations les plus intéressantes et captivantes auxquelles j’ai eu la chance de participer. Comme il a été récemment résumé par Michael Tite, ancien Edward Hall Professor en Sciences archéologiques et Directeur du « Research Laboratory for Archaeology and the History of Art » de Oxford (Angleterre), l’étude de céramiques archéologiques par des techniques physico-chimiques et de science des matériaux est fondamentale car, combinée avec l’étude archéologique et typologique, elle aide à mieux comprendre les propriétés des céramiques anciennes et à reconstruire leur méthode de fabrication. Ces informations sont fondamentales pour les archéologues dans l’établissement du degré d’avancement et de connaissances des civilisations anciennes14.
La stratégie de travail utilisée ici est méthodologiquement à l’opposé de celle qui est classiquement utilisée en science des matériaux. En fait, au lieu d’essayer de synthétiser des matériaux ayant les propriétés désirées au travers des stratégies de synthèse appropriées, nous avons à étudier un matériau fini sans savoir comment il a été produit, et nous essayons de remonter aux méthodes originelles de production.
En collaboration avec d’autres groupes de recherche, et souvent directement en contact avec des archéologues, j’ai utilisé cette approche « de détective » pour étudier des familles de céramiques antiques par spectroscopie Mössbauer de 57Fe, diffraction de rayons X, thermoluminescence et analyse pétrographique. Ces études sont résumées dans un article de revue plus général concernant l’application de la spectroscopie Mössbauer de 57Fe pour l’étude de matériaux archéologiques en Italie [Revue n° 2]. Les deux études principales, que j’ai décidé de présenter brièvement dans les paragraphes suivants, ont fourni des informations intéressantes sur des céramiques originaires de deux sites et de deux époques différentes, et permis la formulation d’hypothèses sur la technologie et les matériaux utilisés pour la production, ainsi que sur l’utilisation de produits manufacturés dans l’antiquité.
2.2.2.Céramiques de la Renaissance de Faenza (Italie) D’origine romaine, la ville de Faenza était déjà célèbre en Europe pendant la Renaissance pour la production d’objets en céramique fine. Du nom de cette ville, en effet, dérive le mot français faïence, synonyme de céramique émaillée. Dans cette ville, les gisements des argiles utilisées par les céramistes pendant les différents périodes historiques sont bien connus et identifiés. Cette connaissance est un avantage notable si on veut étudier les techniques de production locale dans le passé, car il est possible de comparer des échantillons originaux de céramique avec des matériaux contemporains, mais reproduits à partir des mêmes matières premières utilisées par les anciens céramistes.
Nous avons essayé de tirer avantage de cette connaissance [Publication n° 4] pour comparer deux méthodes de détermination de la température de cuisson de la céramique par spectroscopie Mössbauer de 57Fe, déjà utilisées dans la littérature :
Dans la première méthode, les paramètres hyperfins obtenus à partir des fits des spectres Mössbauer de l’argile de référence, cuite à des températures croissantes en conditions oxydantes ou réductrices, sont comparés à ceux d’une céramique ancienne15. Cette méthode, évidemment, peut être utilisée seulement si l’argile originale est connue et si elle n’a pas été mélangée avec d’autres matières premières.
Dans la deuxième méthode, la céramique ancienne est recuite à des températures croissantes. Aucune variation de paramètres minéralogiques, chimiques ou physiques n’est attendue jusqu’au moment où l’on dépasse la température originale de cuisson16.
Pour cela, trois échantillons de céramique de la Renaissance, déjà bien caractérisés du point de vue historique et physico-chimique17, ont été étudiés et comparés avec deux échantillons d’argile provenant de gisements utilisés par les céramistes locaux dans la même époque historique et ayant une composition chimique similaire (riche en calcium).
Les deux méthodes d’analyse donnent des estimations des températures et des conditions de cuisson similaires (environ 850°C et conditions oxydantes) pour tous les échantillons. Ces résultats confirment que les deux méthodes peuvent être utilisées pour estimer les températures de cuisson de céramiques.
2.2.3.« Impasti » du site protohistorique de Concordia Sagittaria (Italie) Matériaux d’utilisation quotidienne à base d’argile cuite, communs déjà dans l’antiquité, les impasti18 sont généralement moins étudiés que les céramiques fines. Cependant, leur importance est fondamentale, car ils peuvent donner des informations sur l’histoire locale, surtout du point de vue économique. Notre travail [Publication n° 15] était centré sur l’étude, principalement par diffraction des rayons X et par spectroscopie Mössbauer, d’un grand nombre de pièces archéologiques (plus de 40 échantillons différents !) de cette classe récoltées sur le site de Concordia Sagittaria et appartenant à une période de temps comprise entre le 10ème et le 8ème siècle avant J. C. L’établissement de Concordia, situé au nord-ouest de la lagune de Venise, a été occupé par des populations locales depuis l’Age du Fer (10ème siècle avant J. C.) jusqu’à la colonisation romaine, quand il a pris le nom actuel probablement par la présence d’une manufacture de production de flèches (sagitta en latin.) Les échantillons étudiés font partie de plusieurs typologies d’artefacts, en allant des tuiles et carreaux en terre cuite à la poterie d’usage quotidien, parfois avec des décorations sommaires. En même temps, des échantillons d’argile locale ont aussi été étudiés.
L’étude a fourni des indications importantes sur les températures et les conditions de cuisson, nous permettant de faire des hypothèses sur les méthodes de fabrication des différents types de matériaux, et de les classer en conséquence. Par exemple, nous avons montré que les matériaux utilisés pour le carrelage étaient produits à une température beaucoup plus basse que les autres, probablement par cuisson à l’air ou même in situ, et que souvent l’argile dans ces matériaux n’était pas pure, mais mélangée avec de la terre cuite broyée.
En conclusion, ce travail présente une comparaison systématique d’échantillons originaux et de répliques modernes, qui nous a permis d’identifier quelles étaient les méthodes de production anciennes spécifiques à chaque classe de matériaux. Dans le cas particulier de Concordia Sagittaria, les différentes techniques de cuisson utilisées pour les matériaux céramiques sont comparables à celles utilisées dans d’autres cultures protohistoriques voisines.
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