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André Durand présente
le thème de la musique de Vinteuil
dans
‘’À la recherche du temps perdu’’

(1913-1927)
roman de Marcel PROUST

(3000 pages)
(la pagination est celle de l’édition de la Pléiade en trois volumes)


Bonne lecture !

La musique était, pour Proust, l’art le plus subtil, le plus universel, le plus sublime. Et, s’il ne pouvait qu’écrire, il affinait sa sensibilité par l’audition sur pianola des compositeurs de son temps.

Dans ‘’À la recherche du temps perdu’’, Marcel se demandait « si la Musique n’était pas l’exemple unique de ce qu’aurait pu être - s’il n’y avait pas eu l’invention du langage, la formation des mots, l’analyse des idées - la communication des âmes. » (III, page 258) et « Swann tenait les motifs musicaux pour de véritables idées, d'un autre monde, d'un autre ordre, idées voilées de ténèbres, inconnues, impénétrables à l'intelligence, mais qui n'en sont pas moins parfaitement distinctes les unes des autres, inégales entre eIles de valeur et de signification. » (I, page 349). Il « savait que le souvenir même du piano faussait encore Ie plan dans lequel il voyait les choses de la musique, que le champ ouvert au musicien n'est pas un clavier mesquin de sept notes, mais un clavier incommensurable, encore presque tout entier inconnu, où seulement çà et là, séparées par d'épaisses ténèbres inexplorées, quelques-unes des millions de touches de tendresse, de passion, de courage, de sérénité, qui le composent, chacune aussi différente des autres qu'un univers d'un autre univers, ont été découvertes par quelques grands artistes qui nous rendent le service, en éveillant en nous le correspondant du thème qu'ils ont trouvé, de nous montrer quelle richesse, quelle variété, cache à notre insu cette grande nuit impénétrée et décourageante de notre âme que nous prenons pour du vide et pour du néant.» (I, pages 349-351).

Elle fut une des sources de sensations, d’émotions, les plus riches, une source de métaphores aussi.

De nombreux musiciens furent cités.

Mais joua surtout un rôle important le compositeur fictif qu’était Vinteuil, dont Proust lui-même, dans une dédicace de ‘’Du côté de chez Swann’’ à Jacques de Lacretelle en avril 1918, dit qu'il avait plusieurs modèles. Marcel voyait cet ancien professeur de piano des sœurs de sa grand-mère comme un « triste petit bourgeois bienséant que nous rencontrions au mois de Marie à Combray» (III, page 261), au « bourgeoisisme pudibond » (III, page 720). Il s’était retiré à Montjouvain, près de Combray, avec sa fille, pour laquelle il éprouvait une véritable passion, mais qui, à cause de ses moeurs scandaleuses, lui causait beaucoup de douleur (I, page 147). Cet homme en apparence insignifiant, au contraire d’Elstir, resta fidèle à lui-même, demeura tout à fait digne et pathétique : « Et la pensée de Swann se porta pour la première fois dans un élan de pitié et de tendresse vers ce Vinteuil, vers ce frère inconnu et sublime qui lui aussi avait dû tant souffrir ; qu'avait pu être sa vie? au fond de quelles douleurs avait-il puisé cette force de dieu, cette puissance illimitée de créer? (I, page 348). Il ne vécut que pour la musique qu’il composa, qui se distinguait par sa nouveauté (« L’accent de Vinteuil était séparé de l’accent des autres musiciens par une différence bien plus grande que celle que nous percevons entre la voix de deux personnes, même entre le beuglement et le cri de deux espèces animales. » [III, page 256]) et commençait à être connue.

Il était en particulier l’auteur d’une ‘’Sonate en fa dièse’’ qui, d’après un passage de ‘’Jean Santeuil’’, serait en fait la ‘’Sonate en ré mineur n°1 pour violon et piano, op. 75’’ de Saint-Saëns (1885) que Proust trouvait cependant « médiocre ». Mais cette musique présenterait aussi des traits de style de Fauré (la ‘’Sonate en fa dièse’’ serait alors sa ‘’Ballade opus 19 pour piano et orchestre’’ [1881]), de Franck (la ‘’Sonate en fa dièse’’ serait alors sa ‘’Sonate FWV 8 en la majeur’’ [1886]) et de Wagner (auraient pu inspirer Proust un prélude de l'opéra ‘’Lohengrin’’ [1850] ou ‘’L'enchantement du vendredi saint’’ dans l'opéra ‘’Parsifal’’ [1882]), et d’un ‘’Septuor’’, chef-d'œuvre triomphal et complet auprès de tous ses autres essais. Après la mort de Vinteuil, sa fille et son amie, qui, si elle l’avait pervertie et « peut-être précipité sa mort » à lui, était cependant, aux yeux du musicien, « une femme supérieure, au grand cœur » et fort bien douée pour la musique, avait passé « des années à débrouiller le grimoire » qu’il avait laissé, s'était attachée à déchiffrer les notes presque illisibles de ses compositions inédites, à les recopier fidèlement, scrupuleusement, avait ainsi dégagé « la formule éternellement vraie, à jamais féconde, de cette joie inconnue : l'espérance mystique de l'Ange écarlate du Matin » (III, pages 262-263), travaillant par là à la révélation et à la gloire posthume de l'homme qui, de son vivant, avait tant souffert par sa faute.

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La sonate
Elle fut principalement évoquée dans ‘’Un amour de Swann’’ (deuxième partie de ‘’Du côté de chez Swann’’). Elle toucha profondément Swann qui l’entendit plusieurs fois tout au long de cette partie, chaque audition faisant évoluer sa relation intime avec la musique qui accompagna aussi les étapes de sa relation tumultueuse avec Odette de Crécy. Elle revint à plusieurs reprises, comme revenait dans la ‘’Sonate’’ et reviendra dans le ‘’Septuor’’, une «  petite phrase » qui le fascinait particulièrement car, étant chaque fois la même et pourtant, chaque fois différente, se métamorphosant, elle imitait et recréait les états d’âme les plus incommunicables.

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Première apparition de « la petite phrase »
« L'année précédente, dans une soirée, il [Swann] avait entendu une œuvre musicale exécutée au piano et au violon D'abord, il n'avait goûté que la qualité matérielle des sons sécrétés par les instruments. Et ç'avait déjà été un grand plaisir quand, au-dessous de la petite ligne du violon, mince, résistante, dense et directrice, il avait vu tout d'un coup chercher à s'élever en un clapotement liquide, la masse de la partie de piano, multiforme, indivise, plane et entrechoquée comme la mauve agitation des flots que charme et bémolise le clair de lune. Mais à un moment donné, sans pouvoir nettement distinguer un contour, donner un nom à ce qui lui plaisait, charmé tout d'un coup, il avait cherché à recueillir la phrase ou l'harmonie - il ne savait lui-même - qui passait et qui lui avait ouvert plus largement l'âme, comme certaines odeurs de roses circulant dans l'air humide du soir ont la propriété de dilater nos narines. Peut-être est-ce parce qu'il ne savait pas la musique qu'il avait pu éprouver une impression aussi confuse, une de ces impressions qui sont peut-être pourtant les seules purement musicales, inétendues, entièrement originales, irréductibles à tout autre ordre d'impressions. Une impression de ce genre, pendant un instant, est pour ainsi dire ‘’sine materia’’. Sans doute les notes que nous entendons alors, tendent déjà, selon leur hauteur et leur quantité, à couvrir devant nos yeux des surfaces de dimensions variées, à tracer des arabesques, à nous donner des sensations de largeur, de ténuité, de stabilité, de caprice. Mais les notes sont évanouies avant que ces sensations soient assez formées en nous pour ne pas être submergées par celles qu'éveillent déjà les notes suivantes ou même simultanées. Et cette impression continuerait à envelopper de sa liquidité et de son ‘’fondu’’ les motifs qui par instants en émergent, à peine discernables, pour plonger aussitôt et disparaître, connus seulement par le plaisir particulier qu'ils donnent, impossibles à décrire, à se rappeler, à nommer, ineffables - si la mémoire, comme un ouvrier qui travaille à établir des fondations durabIes au milieu des flots, en fabriquant pour nous des fac-similés de ces phrases fugitives, ne nous permettait de les comparer à celles qui leur succèdent et de les différencier. Ainsi, à peine la sensation délicieuse que Swann avait ressentie était-elle expirée, que sa mémoire lui en avait fourni séance tenante une transcription sommaire et provisoire, mais sur laquelle il avait jeté les yeux tandis que le morceau continuait, si bien que, quand la même impression était tout d'un coup revenue, elle n’était déjà plus insaisissable. Il s'en représentait l'étendue, les groupements symétriques, la graphie, la valeur expressive ; il avait devant lui cette chose qui n'est plus de la musique pure, qui est du dessin, de l'architecture, de la pensée, et qui permet de se rappeler la musique. Cette fois il avait distingué nettement une phrase s'élevant pendant quelques instants au-dessus des ondes sonores. Elle lui avait proposé aussitôt des voluptés particulières, dont il n'avait jamais eu l'idée avant de l'entendre, dont il sentait que rien autre qu'elle ne pourrait les lui faire connaître, et il avait éprouvé pour elle comme un amour inconnu.

D'un rythme lent elle le dirigeait ici d'abord, puis là, puis ailleurs, vers un bonheur noble, inintelligible et précis. Et tout d'un coup, au point où elle était arrivée et d'où il se préparait à la suivre, après une pause d'un instant, brusquement elle changeait de direction, et d'un mouvement nouveau, plus rapide, menu, mélancolique, incessant et doux, elle l'entraînait avec elle vers des perspectives inconnues. Puis elle disparut. Il souhaita passionnément la revoir une troisième fois. Et elle reparut en effet, mais sans lui parler plus clairement, en lui causant même une volupté moins profonde. Mais, rentré chez lui, il eut besoin d'elle : il était comme un homme dans la vie de qui une passante qu'il a aperçue un moment vient de faire entrer l'image d'une beauté nouvelle qui donne à sa propre sensibilité une valeur plus grande, sans qu'il sache seulement s'il pourra revoir jamais celle qu’il aime déjà et dont il ignore jusqu'au nom.

Même cet amour pour une phrase musicale sembla un instant devoir amorcer chez Swann la possibilité d'une sorte de rajeunissement. Depuis si longtemps il avait renoncé à appliquer sa vie à un but idéal et la bornait à la poursuite de satisfactions quotidiennes, qu'il croyait sans jamais se le dire formellement, que cela ne changerait plus jusqu'à sa mort ; bien plus, ne se sentant plus d'idées élevées dans l'esprit, il avait cessé de croire à leur réalité sans pouvoir non plus la nier tout à fait. Aussi avait-il pris l'habitude de se réfugier dans des pensées sans importance qui lui permettaient de laisser de côté le fond des choses. De même qu'il ne se demandait pas s'il n'’eût pas mieux fait de ne pas aller dans le monde, mais en revanche savait avec certitude que s'il avait accepté une invitation il devait s'y rendre et que, s'il ne faisait pas de visite après, il lui fallait laisser des cartes, de même dans sa conversation il s'efforçait de ne jamais exprimer avec cœur une opinion intime sur les choses, mais de fournir des détails matériels qui valaient en quelque sorte par eux-mêmes et lui permettaient de ne pas donner sa mesure. Il était extrêmement précis pour une recette de cuisine, pour la date de la naissance ou de la mort d'un peintre, pour la nomenclature de ses œuvres. Parfois malgré tout, il se laissait aller à émettre un jugement sur une oeuvre, sur une manière de comprendre la vie, mais il donnait alors à ses paroles un ton ironique comme s'il n’adhérait pas tout entier à ce qu'il disait. Or, comme certains valétudinaires chez qui, tout d'un coup, un pays où ils sont arrivés, un régime différent, quelquefois une évolution organique, spontanée et mystérieuse, semblent amener une telle régression de leur mal qu'ils commencent à envisager la possibilité inespérée de commencer sur le tard une vie toute différente, Swann trouvait en lui, dans le souvenir de la phrase qu'il avait entendue, dans certaines sonates qu'il s'était fait jouer, pour voir s’il ne l'y découvrirait pas, la présence d'une de ces réalités invisibles auxquelles il avait cessé de croire et auxquelles, comme si la musique avait eu sur la sécheresse morale dont il souffrait une sorte d'influence élecrive, il se sentait de nouveau le désir et presque la force de consacrer sa vie. Mais, n'étant pas arrivé à savoir de qui était l'œuvre qu’il avait entendue, il n'avait pu se la procurer et avait fini par l'oublier. Il avait bien rencontré dans la semaine quelques personnes qui se trouvaient comme lui à cette soirée et les avait interrogées ; mais plusieurs étaient arrivées après la musique ou parties avant ; certaines pourtant étaient là pendant qu'on l'exécutait, mais étaient allées causer dans un autre salon, et d'autres, restées à écouter, n'avaient pas entendu plus que les premières. Quant aux maîtres de maison, ils savaient que c'était une oeuvre nouvelle que les artistes qu'ils avaient engagés avaiient demandé à jouer ; ceux-ci étant partis en tournée, Swann ne put pas en savoir davantage. Il avait bien des amis musiciens, mais tout en se rappelant le plaisir spécial et intraduisible que lui avait fait la phrase, en voyant devant ses yeux les formes qu'elle dessinait, il était pourtant incapable de la leur chanter. Puis il cessa d'y penser.

Or, quelques minutes à peine après que le petit pianiste avait commencé de jouer chez Mme Verdurin, tout d'un coup, après une note haute longuement tenue pendant deux mesures, il vit approcher, s'échappant de sous cette sonorité prolongée et tendue comme un rideau sonore pour cacher le mystère de son incubation, il reconnut, secrète, bruissante et divisée, la phrase aérienne et odorante qu'il aimait. Et elle était si particulière, elle avait un charme si individuel et qu'aucun autre n'aurait pu remplacer, que ce fut pour Swann comme s'il eût rencontré dans un salon ami une personne qu'il avait admirée dans la rue et désespérait de jamais retrouver. À la fin, elle s'éloigna, indicatrice, diligente, parmi les ramifications de son parfum, laissant sur le visage de Swann le reflet de son sourire. Mais maintenant il pouvait demander le nom de son inconnue (on lui dit que c'était l'andante de la ‘’Sonate pour piano et violon’’ de Vinteuil), il la tenait, il pourrait l'avoir chez lui aussi souvent qu'il voudrait, essayer d'apprendre son langage et son secret. » (I, pages 208-210)
La phrase provoque en Swann un plaisir pur, suscite en lui deux états, qui se succèdent si rapidement qu’on en arrive à les confondre : la sensation musicale qui a quelque chose de physique, d’inexprimable, et le souvenir de cette sensation qui est déjà une abstraction.
Le passage qui va de « L’année précédente » à « amour inconnu » est consacré à l’intérêt, au plaisir qu’a éprouvé Swann à l’audition de la sonate de Vinteuil, à sa tentative pour saisir, cerner, définir, ce plaisir. L’insistance est nette sur le plaisir (« grand plaisir », « plaisir particulier », « sensation délicieuse », « volupté particulière », « amour inconnu »). Proust rendit sensibles les effets sonores de la musique, qu’il est difficile de rendre avec des mots, en recourant à :

- des comparaisons qui relèvent du « dessin », de « l’architecture », de la géométrie, qui tentent d’établir une troisième dimension : « ligne du violon, mince, résistante, dense et directrice » - « la masse de la partie de piano, multiforme, indivise, plane… » - « 
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