Thèse pour le Doctorat de sociologie








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Identités de classe


Nous synthétisons cette liste en trois points susceptibles de synthétiser aussi fidèlement que possible les différents critères, que nous appellerons les trois « identités de classe » :

  1. Identité culturelle, au sens où l’on entend par exemple la « culture ouvrière », identité est ici comprise en son sens d’équivalence des représentations et des comportements des différents individus de la strate — critères (a) et (b) ;

  2. Identité temporelle (ou intergénérationnelle), identité est ici en son sens d’invariance intertemporelle, elle renvoie évidemment à la question de l’immobilité sociale intergénérationnelle de la strate, dont on peut supposer qu’elle va généralement de pair avec l’homogamie — critère (c) ;

  3. Identité collective5, où identité est en son sens social : c’est la conscience d’appartenance à la strate, celle de l’existence de la strate comme réalité extérieure à et au-delà de soi, celle des individus appartenant aux autres strates de l’existence de cette strate. Elle implique la distance sociale (telle que l’entend Aron) qui sépare les individus de l’en-groupe et de l’hors-groupe, et l’existence d’une conscience collective de la strate, conscience de l’existence d’intérêts différents de ceux des autres strates, en suscitant ainsi leur conflit ; cette identité collective contient donc l’idée marxienne de « conscience de classe » — critères (d) à (g). Cette identité collective n’est jamais autant repérable que lorsqu’elle se solde par des actions communes, collectives, décidées par une organisation spécifique de la classe la mobilisant et lui donnant une capacité d’action.

Les critères d’identité de classe permettent ainsi de repérer le degré auquel une strate est qualifiable de — ou à quel point elle devient plus ou moins une — classe. Globalement, chaque critère d’identité a des chances de renforcer l’autre : une forte identité culturelle a des chances de susciter la fermeture ou la perméabilité des strates, impliquant ainsi une moindre mobilité sociale et une plus forte identité temporelle. L’identité culturelle est de nature, aussi, à développer l’identité collective par l’intensification de différences repérables entre les strates. L’identité temporelle est propice à la reproduction de spécificités culturelles, mais aussi de l’identité collective, du fait de l’évidence des rigidités sociales. De l’identité collective pourrait résulter une plus forte identité culturelle, par la naissance d’une hostilité aux signes culturels de l’hors-strate et par là leur stigmatisation ou leur éviction6, mais aussi de l’identité temporelle dans la mesure où l’émergence du nous-eux est propice à diminuer l’hétérogamie et à limiter la perméabilité entre strates. Il est clair aussi que le principe et les critères ne se correspondent pas mécaniquement : une non-strate peut satisfaire certains critères au moins d’identité de classe7, et une strate peut être une non-classe (les paysans vus par Marx).

Classes au sens faible et au sens fort


Cette distinction entre la classe au sens fort — la strate satisfaisant les trois critères d’identité — et la classe au sens faible — ou classe latente, ou encore strate sociale que nous utiliserons à défaut de satisfaction des critères d’identité — semble permettre de comprendre certaines ambiguïtés apparentes de l’usage multiple que Marx8 fait du mot « classe ». Par exemple, la phrase « l’histoire de toute société passée est l’histoire de la lutte des classes » par laquelle s’ouvre le premier chapitre du Manifeste n’a de sens qu’au regard de la classe au sens faible9. Par ailleurs, le célèbre métaphore de la paysannerie comme « sac de pomme de terre » du 18 Brumaire est immédiatement suivi de la distinction entre les deux sens de la classe, le fort et le faible : « Dans la mesure où des millions de familles paysannes vivent dans des conditions économiques qui les séparent et les opposent de par leur mode de vie, leurs intérêts, et leur culture de ceux des autres classes de la société, forment une classe. Dans la mesure où il existe essentiellement une interrelation locale de ces petits paysans, et que l’identité de leurs intérêts ne forme pas une communauté, ne suscite pas de lien à l’échelon national, ni d’organisation politique en leur sein, ils ne constituent pas une classe »10. Là encore apparaissent le sens faible — synonyme de strate, autrement dit la classe en soi — et le sens fort — la classe pour soi (voir Marx, 1977, p.177-178). L’usage que Marx fait du mot classe n’étant pas précisé, puisqu’il peut utiliser le terme en un point quelconque du continuum entre la strate — classe latente — et la classe sociale au sens fort, il découle une apparence d’ambiguïté et de contradiction qui se lève dès lors qu’est édictée la distinction entre la classe latente et la classe proprement dite. Ainsi, si Marx considère aussi bien le système théorique à deux classes de la dyade prolétariat-bourgeoisie, que celui à trois hérité de Smith et Ricardo, à sept des Luttes de classes en France 1849-1850, ou encore à huit de Révolution et contre-révolution en Allemagne11, ce n’est pas par contradiction interne de la théorie de la classe chez Marx, mais par l’utilisation du même mot pour des strates dont la nature de classe est plus ou moins avérée. C’est en ce sens que nous parlons ici de conception marxienne de la classe comme modèle intermédiaire, ni pure réalité ni pure abstraction, mais un concept en mesure de décrire l’ensemble du continuum qui va de la classe latente, en soi, ou strate sans identité, à la classe-identité, ou classe au sens fort, qui dépasse intégralement le groupement des individus pour en faire un tout.

Si la définition de la strate implique une idée d’agrégat d’individus, la définition de la classe répond bien à l’existence d’ensembles représentant plus que la somme de leurs parties et constituant en tant que tels des acteurs collectifs, au moins partiellement indépendants des individus qui les composent. Nous pouvons alors comprendre comment la classe peut recevoir pour le même auteur une définition nominaliste (la classe comme somme d’individus) et une notion essentialiste (la classe comme entité distincte de l’agrégat des individus lui appartenant), simplement parce que Marx n’utilise pas le terme de strate pour y opposer la classe au sens fort.

Pour autant, il semble insuffisant de définir la classe comme découlant directement d’une « position dans le mode de production » ou d’une « situation de marché », car l’une comme l’autre ne servent en définitive qu’à repérer des strates, qui peuvent éventuellement, sous certaines conditions, se structurer fortement ou non comme classes sociales, repérables aux trois identités de classe, et caractérisés par la lutte pour des intérêts communs.


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