Pour une approche relationnelle de la thérapie familiale
| par Eric Trappeniers*, Alain Boyer**
tiré du site http://www.institut-famille.com/iefl/presentation.php
Au fur et à mesure que sa pratique se diffuse dans les pays européens et que, par conséquent, elle s'éloigne de plus en plus de la culture qui l'a vue naître, l'approche systémique dont nous souhaitons rendre compte ici est appelée à se forger une nouvelle conceptualisation.
I - LES DEBUTS DE LA THERAPIE FAMILIALE
L'approche systémique est née aux Etats-Unis au milieu du siècle dernier. Au départ, la démarche, issue de la recherche scientifique, avait une visée essentiellement pragmatique. Devant l'éclatement des familles traditionnelles, d'une part, et, d'autre part, devant les problèmes de comportement que posaient certains patients dans les hôpitaux psychiatriques, il s'agissait avant tout, dans une optique qu'on pourrait dire " familialiste ", d'essayer de comprendre les éléments pouvant jouer un rôle dans l'étiologie de la schizophrénie et particulièrement le rôle de certains facteurs tels que la diminution de la qualité de relations familiales (P. Watzlawick et alii, 1972). Cela permit de constater un phénomène : quand, parmi les membres d'une famille, celui qui était désigné comme le porteur du problème allait mieux, c'était quelqu'un d'autre qui allait moins bien. C'était là, déjà, une nouveauté. En effet, jusque là, les thérapeutes limitaient leur intervention à l'approche individuelle de patients qu'ils recevaient abstraction faite de l'entourage dans lequel ils vivaient, même si sans doute on en parlait avec eux - comment faire autrement ? Certains thérapeutes commencèrent donc à rencontrer, non plus seulement des individus, mais des familles entières, pour essayer de comprendre ce qui se passait. Bien évidemment, les outils conceptuels dont on usait auparavant se sont rapidement avérés inapplicables dans cette nouvelle situation. Il fallait en inventer de nouveaux.
Les systèmes à l'équilibre
C'est alors que, à la recherche de ce qui leur permettrait de rationaliser leur pratique, ces pionniers se tournèrent vers la réflexion sur les systèmes menée par Ludwig von Bertalanffy dans sa Théorie générale des systèmes parue aux Etats-Unis en 1968.
Von Bertalanffy, dans la présentation qu'il fait de son travail, relève trois aspects principaux des systèmes, ce qu'il appelle :
la science des systèmes, soit l'ensemble des principes qui s'appliquent à tous les systèmes, y compris les systèmes humains ;
la technologie des systèmes, soit les problèmes nouveaux que posent l'apparition des techniques modernes et leur répercussion sur l'organisation des sociétés humaines ;
la philosophie des systèmes, soit une vision organique du monde comme une grande organisation au sein de laquelle des systèmes sont en interaction. La limite que présente la rationalisation de von Bertalanffy quand il s'agit de rendre compte d'une pratique thérapeutique tient à ce que, s'il s'intéresse aussi aux systèmes humains, il ne s'intéresse pas spécifiquement à eux. Tout particulièrement sur ce point : il ne s'agit pas seulement, dans les systèmes humains, d'interactions entre les divers éléments, mais de relations (voir infra). Peut-être ne s'en est-il pas rendu compte lui-même tant cela est un trait dominant de l'idéologie en vigueur, mais l'auteur permet de se rendre compte de cette difficulté quand il écrit que la référence par excellence est non pas le sujet, mais l'individu : " Cette connaissance peut nous enseigner, non seulement ce que le comportement humain et la société ont de commun avec d'autres organisations, mais aussi ce qui leur est spécifique. Le dogme principal sera alors : l'Homme n'est pas seulement un animal politique, il est d'abord et avant tout un individu. " (Op. cit., trad. franç. p. 51.)
Symptôme et contexte d'émergence
C'est dans la mouvance du courant de l'antipsychiatrie, avec en Grande-Bretagne R. Laing (Laing, 1991), D. Cooper et D. Esterson, avec en Italie F. Basaglia, avec en Belgique M. Elkaïm, que la thérapie familiale fait son entrée en Europe. La question que se posent ces médecins psychiatres devant les obstacles qu'ils rencontrent dans leur pratique est celle-ci : peut-on réduire le patient à sa maladie ? Peut-on comprendre le symptôme comme quelque chose qui serait uniquement interne, pour ainsi dire, au seul patient ? Peut-on occulter la dimension socio-politique de ce qu'il vit et faire comme s'il vivait n'importe où n'importe quand avec n'importe qui en faisant abstraction du contexte dans lequel un jour s'est manifesté son symptôme (Elkaïm, 1981 ; Laing, 1991) ? Ainsi en sont-ils venus à penser qu'il était nécessaire, pour comprendre, de resituer l'individu dans son contexte et que, pour intervenir efficacement, il était indispensable de traiter ensemble et l'individu et son contexte. A ce moment de la recherche autour des phénomènes d'aliénation, de folie, des symptomatologies psychique, trois points principaux commencèrent à mobiliser le débat critique. La théorie des systèmes permet certes de rendre compte de la façon dont un système se maintient en équilibre par le jeu de ce que l'on appelle l'homéostasie, mais elle ne permet pas d'imaginer comment le système pourrait changer. L'exemple classique du fonctionnement homéostatique est celui de la thermorégulation : si, dans une maison dont la température moyenne est assurée par un thermorégulateur dont le propriétaire a verrouillé le système, un locataire veut qu'il fasse plus frais, quelle solution a-t-il ? Celle de mettre un chauffage d'appoint soufflant de l'air chaud sur le thermoégulateur. Ainsi accentue-t-il la tendance de celui-ci à bloquer le système de chauffage pour maintenir le non-changement programmé de la température moyenne. Le principe vaut, analogiquement, dans les cas où l'hôpital remplit la même fonction, par exemple quand il y a un problème dans une famille : la tension monte, un des membres de la famille en accuse le coup, il va à l'hôpital, la tension baisse, il revient en famille, la tension remonte, et ainsi de suite indéfiniment. Le symptôme est alors la solution que la famille a trouvée pour retrouver son équilibre quand il est trop compromis par la montée de la tension. Or le problème pour le thérapeute est de trouver comment déverrouiller le système, s'il veut éviter que le patient ne devienne un patient " chronique " - ce qui se vérifie trop souvent. Ensuite, il y a dans cette théorie générale des systèmes un facteur de prédictibilité du comportement des individus qui est sans doute commode s'il s'agit de mettre en place des techniques de prévention de façon à limiter les dégâts puisqu'on aura prévu à l'avance ce qui va se passer, mais qui ne laisse aucune place à la liberté du sujet dans son irréductible imprévisibilité. Il s'agit là d'une question morale : veut-on encadrer les gens en se résignant à ce que l'on considère comme une fatalité ou veut-on permettre qu'émerge leur liberté et, donc leur responsabilité ? Enfin, et cela rejoint le point précédent, penser en termes de système revient à penser non pas en termes de personnes agissantes et responsables de leurs actes, mais en termes de fonctionnement, de comportement. Un peu comme il en va quand on dresse un animal en fonction de ce que l'on attend de lui, ou quand on façonne une pièce de bois ou de métal en vue de son insertion, de son intégration, dans un ensemble préexistant de telle façon que cette insertion, cette intégration, ne perturbe pas l'existant.
Les systèmes loin de l'équilibre
Où trouver comment dire et se dire à soi-même ce que l'on veut dire désormais ? Où trouver ce qui va permettre de constituer un nouveau corpus théorique ? Interviennent alors trois rencontres déterminantes. La première est celle d'Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie. Celui-ci met l'accent sur l'importance du hasard, de ce qui ne peut être prédit dans les phénomènes qu'il étudie. Ce qu'il apporte va donc être utilisé comme analogie de ce que l'on observe de semblable dans les systèmes humains quand on accepte de reconnaître que ce qui est essentiel en eux est ce que l'on ne peut prévoir.
La deuxième est celle de Heinz von Fœrster, qui thématise ce que l'on appelle la seconde cybernétique. Il s'agit d'intégrer à l'étude des systèmes ce que W. Heisenberg avait mis au jour en physique avec le coefficient d'incertitude, quand il soulignait que l'intervention d'un observateur, ou plutôt en l'occurrence d'un instrument d'observation, dans un champ atomique modifiait le jeu des forces à l'intérieur de ce champ. L'apport de H. von Fœrster permet de mettre l'accent sur le fait que, dans un système humain, il n'y a pas à proprement parler de moment d'observation au sens où l'on s'imaginerait que le système continuerait de se comporter comme si l'observateur n'était pas là. Dès que l'observateur est présent, il fait lui-même partie du système. Cette remarque est du plus haut intérêt s'agissant des thérapies familiales car c'est dire que, à partir du moment où le praticien fait lui-même partie du système thérapeutique, il y a au moins un élément sur lequel il peut intervenir pour déverrouiller celui-ci et provoquer un changement : lui-même. Enfin, allant dans le même sens, il y a la rencontre des biologistes H. Maturana et F. Varela. S'intéressant particulièrement aux mécanismes de la vision, ces auteurs soulignent que nos perceptions sont la conséquence, tout autant, sinon plus, du fonctionnement intérieur de l'organe de la vision, du fonctionnement spécifique de l'œil que de la complexion de l'objet extérieur lui-même : toute perception est construction. On aboutit là à la même conclusion théorique et pratique qu'avec la seconde cybernétique. Si donc, pour une science qui se voudrait la description des lois générales de ce qui se passe au niveau des phénomènes indépendamment de toute observation, il s'agit là de ce que l'on considère comme un handicap - comme source " d'incertitude " -, il s'agit au contraire d'un atout dès lors qu'on se propose de faire passer un système dont l'équilibre se maintient aux dépens de l'un de ses éléments - celui qui souffre du symptôme permettant de maintenir l'homéostasie - à un autre équilibre. Le thérapeute a en effet en lui-même, au cours des entretiens, le point sur lequel intervenir. Restait que, en puisant ces analogies dans le corpus théorique de disciplines scientifiques qui avaient construit leur objet pour en approcher ce qui n'avait rien de spécifiquement humain, la thérapie familiale - et plus largement l'approche systémique des phénomènes humains - n'avait toujours pas à nos yeux l'outil lui permettant de rendre compte des relations entre des sujets, de rendre compte de la responsabilité de l'intervenant lui-même sujet agissant au sein de ces relations, et donc de rendre compte de façon satisfaisante de ce qu'il fait ni de la façon dont il le fait. La plupart des thérapeutes qui ont utilisé ces analogies pour mieux rationaliser leur pratique, pour la faire comprendre à un public plus large avaient sans doute conscience qu'il ne s'agissait là que d'analogies. En revanche, c'était courir le risque de réduire aux yeux des autres thérapeutes la pratique systémique à un fonctionnement quasi-mécanique en termes de stimulus-réponse et parfois manipulateur, comme il en va en physique, en chimie, en biologie et dans les neuro-sciences.
II - UNE APPROCHE RELATIONNELLE
La question, fondamentale, tourne, pour faire bref, autour de trois points cruciaux : la différence de registre entre l'individu et le sujet, entre l'interaction et la relation, entre la science et l'art. L'individu n'est pas le sujet Depuis disons, grosso-modo, la Renaissance, les êtres humains sont considérés et se considèrent eux-mêmes comme des individus. A de très rares exceptions près, toute la littérature philosophique et toute la littérature des sciences humaines et les pratiques qui en découlent - médecine, psychologie, sociologie, sciences de l'éducation, psychiatrie et jusqu'à la psychanalyse - reposent sur ce postulat. Or il s'agit d'une abstraction, d'un artifice comptable : l'individu est un échantillon statistique particulier promu à la dignité d'existant en soi - et, ajoutent certains avec cohérence, pour soi. En témoigne la Déclaration universelle des droits de l'homme en son article 3, annoncé par son article 2 : il s'agit de l'individu " sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune de naissance ou de toute autre situation ". Or non seulement cet individu n'existe nulle part - sinon dans les livres -, mais, ce qui est plus inquiétant, il se met à exister dans deux circonstances particulières :
quand il est réduit à cet état par quelque bourreau, comme en témoigne Primo Levi (1998) dressant dans Si c'est un homme le portrait de ses compagnons dans les camps de déportation nazis, ces " milliers d'individus [...] sans distinction d'âge, de condition sociale, d'origine, de langue, de culture et de mœurs " - on croirait un copié-collé de l'article 2 de la Déclaration ;
quand il est réduit à cet état par la nécessité de vendre sa force de travail sur le marché, où il est contraint de se présenter abstraction faite, pour l'employeur, de ce qu'il est père, mère, fils, fille, frère, sœur, voisin, voisine, citoyen ou citoyenne de tel ou tel pays, etc. : " libre ", certes, mais comme le disait K. Marx dans Le Capital (livre 1, section 2, ch. 6), c'est-à-dire libre de toute attache que ce soit à qui que ce soit. En dehors de ces circonstances, n'existe nulle part cette abstraction que l'idéologie libérale est parvenue à imposer comme la dignité par excellence car cela sert l'intérêt du marché. Car ce qui existe, ce sont des sujets. C'est-à-dire des hommes, des femmes, des enfants, qui ne sont qui ils sont que par la grâce de la loi commune qui les inscrit à une place dans la cité en leur donnant une identité singulière. Une actuelle illustration en est la campagne de l'Unicef pour que tous les enfants aient des papiers qui disent son identité, faute de quoi ils n'existent pas, ils ne sont que des objets - des " individus " si l'on veut, les malheureux - que n'importe qui peut acheter ou vendre comme n'importe quelle marchandise. Le sujet n'est pas plus l'individu que le sujet de l'inconscient - sauf à dire de la loi commune qu'elle est l'inconscient -, il est le sujet de la loi, raison pour laquelle il se nomme ainsi : sujet. Car c'est la loi qui le reconnaît comme fils ou fille de..., comme mère ou père de..., comme époux ou épouse de..., comme citoyen ou citoyenne de..., etc. Faute de quoi un être humain ne peut pas vivre, comme l'illustre le cas des enfants que l'on dit sauvages. Ceux-ci, on le sait, dépassent rarement l'âge de la puberté, c'est-à-dire l'âge où celui qui n'était encore qu'un enfant irresponsable devient un adulte responsable de ces actes : un sujet économique dans l'échange des biens, un sujet de parole dans l'échange langagier, un sujet sexuel dans l'échange des corps par le jeu des alliances et des filiations. Un sujet politique par son inscription dans la cité : sujet de devoirs d'abord à l'égard du bien commun, puisqu'il a reçu d'exister de la loi commune et s'acquitte en les remplissant de la dette qu'il a contractée ; sujets de droits, en retour. L'interaction n'est pas la relation Considérer un être humain abstraction faite de l'échange de devoirs et de droits avec d'autres êtres humains qui seul lui donne d'exister, c'est le réduire à n'être, à l'instar des animaux, voire des boules de billard, qu'un élément dans un jeu d'interactions dont son comportement est la résultante, comme veulent le faire croire - et le font malheureusement croire - les théories qui prétendent que nous fonctionnerions selon le schéma stimulus-réponse. C'est ne laisser aucune place à la responsabilité. Car il n'y a là aucune réponse. Simplement une réaction. Quand je siffle mon chien et qu'il vient, il ne répond pas à mon appel, il réagit au signal que j'ai émis. La preuve : si je lui demande de rendre compte de sa réaction, il reste coi. Une réponse, cela suppose d'être capable de répondre de ce que l'on dit, de ce que l'on fait. Par sa réaction comportementale, mon chien me communique qu'il vient ou qu'il ne vient pas, et à moi de me débrouiller avec ce signal qu'il me retourne dans notre interaction ; mais il est incapable de répondre de sa réaction. D'ailleurs, je ne le lui demande pas. Alors que je le demanderai à un être humain, sauf à le traiter comme un chien, et je resterai insatisfait si ne vient aucune réponse : " Pourquoi m'a-t-il envoyé ce signal, si c'est pour se taire ensuite ? " Mon insatisfaction ? D'être considéré comme un chien, de me voir refuser d'entrer avec lui dans le jeu de la conversation - qui n'est pas la même chose que la communication. Ce signal qu'il m'a envoyé, moi, je l'ai reçu comme un signe, comme il convient quand on est un être humain. Comme une invitation à ce que nous en déchiffrions ensemble la signification au cours d'un débat au terme duquel s'instaurera entre nous une relation, une relation nouvelle si nous nous connaissons déjà. C'est-à-dire cette présence l'un à l'autre par laquelle nous recevons l'un de l'autre une existence nouvelle. Cette présence une et plurielle, irréductible à quelque identification que ce soit, singulière, qu'est une présence proprement humaine. Un exemple simple permet d'illustrer ce dont il s'agit. Fils de ma mère, mari de ma femme, père de ma fille, qui suis-je ? Je suis le même, sans doute, comme l'indiquent mon nom et mon corps - ma carte d'identité. Est-ce à dire que d'être fils, mari, père, ne seraient que des accidents, que des apparences qui ne disent pas qui je suis " profondément ", comme disent certains inconsidérément ? Alors que le système familial au sein duquel je suis en relation avec ma mère n'est pas le même que celui au sein duquel je suis en relation avec ma fille, puisque deux autres nouvelles arrivées au moins sont venues instaurer un nouveau jeu des places - et pas seulement des rôles. Comptent-elles pour si peu que je ne me reçoive en rien d'elles ? Mais alors, ma mère a-t-elle compté, compte-t-elle, pour si peu que je ne me sois en rien reçu, que je ne me reçoive en rien, d'elle ? Ou à chacune concéderais-je une part, un morceau - on dirait d'un gâteau - de moi et ne serais-je pas tout entier avec chacune ? Ou accepterais-je de me recevoir de l'une et non de l'autre ? Ce serait faire de la rétention de présence. Et nous savons tous ce que nous éprouvons devant quelqu'un qui ainsi se refuse à la relation et s'en tient au rôle auquel il s'identifie en n'acceptant que des interactions, en réagissant à ce qu'il perçoit comme un signal au lieu de répondre à l'appel. Et nous savons tous pertinemment ce que nous faisons quand nous nous comportons de la sorte. Dans le premier cas, nous vivons cela comme une négation de qui nous sommes ; dans le second, nous refusons de nous déclarer - comme on dit que se déclare une guerre ou un amour - pour n'avoir pas à entrer avec l'autre dans le jeu de l'échange par lequel nous nous recevrons de lui en même temps qu'il se recevra de nous. Un art Une thérapie digne de ce nom est précisément cette opération par laquelle est ouvert l'écart entre l'individu et le sujet, entre l'interaction et la relation, pour que soit ouverte aux personnes présentes la possibilité de retrouver ce qu'elles ont perdu : le choix d'instituer entre elles le jeu de l'échange symbolique où chacune reçoit des autres sa place et la tient en donnant aux autres de recevoir la leur et de la tenir. C'est dire que si, au départ, on est devant une situation particulière où chacun s'en tient à ses rôles pour satisfaire à ses besoins et à son intérêt, il s'agit, par la présence à l'intérieur du système thérapeutique de cet autre qu'est le thérapeute, d'instaurer une nouvelle situation, singulière, où chacun est appelé à mourir à ses rôles. On peut donc décrire en usant d'idées générales puisées dans les livres, dans les sciences humaines, dans les observations faites par d'autres en d'autres circonstances, quelle est la situation de départ, puisque chacun s'y réduit à s'en tenir à des rôles dont il est possible de dresser une typologie. En revanche, il est impossible, et dangereux, de prétendre prédire quelle serait la " bonne " situation au terme du processus - sauf à s'imaginer qu'il y aurait la bonne famille, la bonne organisation, le bon système, etc. Cela pose la question de la méthode. Or le propre d'une méthode, c'est en quoi elle se distingue de la recette, ou des recettes, est de s'adapter chaque fois à son objet. On voit tout de suite le problème, puisque l'objet auquel il s'agit d'aboutir, on ne sait ce qu'il est qu'une fois qu'il est là et que c'est donc alors seulement qu'on pourra savoir quelle est la méthode. La méthode est toujours rétrospective. A quoi bon alors, si on ne la trouve que quand on n'en a plus besoin ? A cela précisément : à rappeler qu'il n'y a pas la méthode, que c'est à chacun chaque fois de l'inventer. Il en va des situations humaines quand il s'agit d'y œuvrer comme il en va dans le processus de la création artistique à la différence de la production industrielle. Il y faut, disait Cézanne, que " tous les petits bleus, et les petits marrons ", etc., " tuent l'idée " que le peintre avait derrière la tête, qu'il se laisse pénétrer par le champ de forces qu'a déclenché le premier coup de pinceau sur la surface de la toile. Cela veut dire deux choses :
que le thérapeute doit avoir une idée, pour pouvoir la tuer ; cela s'appelle une hypothèse ; sans elle, le thérapeute se laissera mener par le bout du nez par ses patients ;
qu'il soit prêt à mourir à son idée au fur et à mesure que se déroule le processus ; sans quoi, le thérapeute réduira ses patients à n'être que ce qu'il aura sculpté.
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