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DEBAT AUTOUR DU « NEGATIONNISME ECONOMIQUE » 3ème partie Et qui sont les cobayes des économistes ? «Chercheure au CNRS ? La classe ! En économie ? Tu sers à quoi ? A rien apparemment, vu la crise et le chômage.» Contrôle du self. Je souris. Si vous saviez… entre nous, on est encore plus féroces. En témoigne le dernier livre de Pierre Cahuc et André Zylberberg le Négationnisme économique (Flammarion), sorti début septembre, dans lequel les auteurs fustigent tour à tour les dangereux gauchistes et les suppôts du capitalisme vendus au patronat. Selon eux, ces deux catégories de traîtres nient les résultats établis de l’analyse économique pour servir des intérêts privés ou idéologiques. Alors, certes, les médias sont peuplés d’imposteurs et cela représente un vrai danger pour la démocratie. Mais peut-on pour autant suivre les auteurs quand ils affirment que les économistes sérieux produisent des vérités scientifiques ? Que le salut est dans l’expérimentation ? Autrement dit, l’analyse économique devrait, selon eux, s’inspirer de la recherche en médecine ou en biologie pour mettre au point non pas des traitements mais des politiques publiques qui marchent. Franchement, je rêve de tester mes hypothèses comme le font mes copains biologistes. Mais pour avoir passé des heures autour d’une bonne bouteille à comparer nos disciplines, à discuter méthodes de travail, organisation en labo, délai de publication, concurrence scientifique… je peux témoigner (à jeun) que nos démarches sont bien différentes. Je vois trois grandes différences. Premièrement, les recherches en biologie se font beaucoup plus par processus cumulatif. Un exemple récent est la découverte du CRISPR (1), cet outil de génie génétique permettant de modifier plus facilement et plus précisément l’information génétique d’une cellule, ce qui devrait permettre d’éliminer certaines maladies. Ce genre de découverte révolutionnaire est possible parce qu’une armée de chercheurs s’est mobilisée autour d’une question consensuelle. Ils ont progressé en reproduisant les expériences des laboratoires concurrents pour montrer que leur propre technique améliorait tel ou tel paramètre. En comparaison, l’objet de recherche économique, le champ social, est divers et contextuel ; en ce moment, les macro-économistes italiens sont obnubilés par le chômage et les allemands par les taux d’intérêts planchers de la BCE. Il est donc difficile de s’accorder sur une grande question à résoudre. Avec une multitude de questions et autant de données pour les traiter, l’émulation et la concurrence entre laboratoires sont des moteurs secondaires dans la recherche en économie. Deuxièmement, mes copains biologistes se heurtent beaucoup moins que moi à des problèmes d’accès aux données. Le plus souvent, ils les collectent eux-mêmes sur des cobayes. Leur contrainte est donc d’ordre éthique. En économie, notre contrainte est la disponibilité et la confidentialité ! La plupart des données sont collectées indirectement par des instituts de statistiques, des banques centrales, des gouvernements, etc. Les questions empiriques sont donc déterminées par l’existence des données. Par exemple, on vient seulement d’avoir accès à quelques données sur les activités des banques européennes dans les paradis fiscaux. Il y a donc des questions plus difficiles à traiter que d’autres… et ce pour des raisons politiques ! Enfin, troisième différence, la principale application de la recherche en biologie est le développement de traitements médicaux. En économie, c’est la politique publique. Or, la coexistence de groupes sociaux aux intérêts non alignés entraîne que la mesure publique adoptée dépendra au moins autant de l’équilibre des pouvoirs que de sa capacité objective (et scientifiquement démontrée) à régler un problème. Là où un seul lobby, le pharmaceutique, interfère avec le développement thérapeutique, dans un pays, c’est une myriade de groupes sociaux qui défendent leurs intérêts. En réalité, la grande hypocrisie à prétendre que l’analyse économique peut se faire en laboratoire avec des pures expérimentations consiste à ignorer que les décisions politiques sont le fruit d’une synthèse d’intérêts contradictoires. A ce propos, j’adore la description qu’un ami m’avait faite quand il occupait un poste en cabinet à Bercy. «Le ministre prend ses décisions en quelques minutes. Pour chaque question, il est bombardé d’avis émanant de l’industrie, de représentants syndicaux, du patronat, de son parti, etc. Mon job consistait simplement à démonter avec quelques arguments économiques les doléances les plus fallacieuses» (en vrai il n’a pas utilisé cet adjectif-là…). (1) Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats ou «courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées». Anne-Laure Delatte, Chargée de recherches au CNRS, laboratoire EconomiX, OFCE, professeure invitée à Princeton. Libération — 19 septembre 2016 |
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