Chapitre 2
Une typologie des fonctions des modèles formels1

Objectif : construire une typologie des fonctions des modèles à partir d’une analyse du rapport entre modèle et expérience. Résumé : j’explore le lien entre la manière dont on modélise en tant qu’expert ou chercheur et la manière dont on apprend à modéliser en tant qu’étudiant, et j’admets que ce lien repose sur le rapport expérience/modèle. La typologie est construite pour le cas particulier des modèles formels (utilisant un formalisme mathématique, statistique ou informatique). Pour chaque type de modèle, une option pédagogique est proposée, en particulier sur l’usage des simulations. Je présente des exemples de modèles en me basant principalement sur des exemples de recherche et d’enseignement de la modélisation en biologie.
1. Introduction : quelques définitions Commençons par quelques définitions servant de point de départ à cette étude. Il ne s'agit pas de définitions universelles mais du sens dans lequel des termes sont employés dans ce chapitre. Le fil conducteur et la structure générale du chapitre sont présentés brièvement à la fin de cette introduction.
Le modèle, la modélisation et la simulation sont des termes souvent employés dans la recherche, en sciences expérimentales, en didactique et en épistémologie. Aussi, il est utile de préciser ce que l'on entendra par ces termes dans un texte qui prétend emprunter à ces trois disciplines.
Je m’intéresse aux modèles qui rendent compte de l'expérience. Au sein de la biologie, il y a plusieurs sortes de modèles (pour un ouvrage très complet sur les modèles en biologie, leur nature, leur fonction, leur construction, Legay, 1973). En physique, la notion de modèle, leur nature et leur fonction, est discutée dans de nombreux ouvrages de didactique, histoire ou épistémologie des sciences (e.g. Varenne 2005 et ses références).
Les modèles envisagés ici sont basés sur les mathématiques, « un langage permettant de comprendre la dialectique qui va sans fin, et dans les deux sens, de l'esprit aux choses » (Bachelard, 1971, p112). Soulignons qu'il s'agit ici d'esprit et de choses et qu'apparaît le mot langage sur lequel nous reviendrons plus loin. Nous nous intéresserons donc au « contact entre expérience et mathématiques » (Legay, 2000) parmi d'autres formes de modèles. Plus exactement, on se focalisera ici sur ceux qui reposent sur les outils mathématiques, statistiques ou informatiques. Le raccourci modèles formels sera utilisé pour les désigner. Ces outils, on le verra, ont un double rôle à jouer, celui d'instrument d'analyse et celui de modèle, de construction formelle permettant de rendre l'observation intelligible (Martinand, 1994, p. 131).
La démarche de modélisation formelle, si on la réduit à sa plus simple expression, consiste à isoler un système et des objectifs d'étude à son propos, puis à formaliser ces objectifs. Isoler un système, c'est « limiter le champ d'une situation et en extraire un ensemble cohérent » (Legay, 1997). On fait, chemin faisant, plusieurs hypothèses, à la fois sur les composants essentiels du système et sur les relations entre ces composants.
Des simulations peuvent être conçues par le chercheur ou par l’enseignant. Une simulation numérique est utilisée par le scientifique en lien avec un modèle, un modèle dynamique en général. La simulation va résoudre, de manière explicite ou pas pour l’utilisateur, les équations de ce modèle représentant l'évolution du système. Très souvent, la simulation est une imitation du phénomène. Il y a donc quelque chose de commun aux deux. Nous en reparlerons dans la suite.
De Jong & van Joolingen (1998) proposent deux catégories de simulations à usage pédagogique : celles qui reposent sur un modèle conceptuel (dynamique ou statique, qualitatif ou quantitatif, continu ou discret, etc) et celles qui proposent un modèle opératoire (e.g. un simulateur de vol, une dissection virtuelle). La simulation est en général interactive, elle permet à l’utilisateur de changer des paramètres, de sélectionner des données, de créer des graphes... Plusieurs logiciels permettant de créer ou de faire tourner des simulations peuvent être mentionnés, de part les usages pédagogiques variés qu'ils permettent. Par exemple, il y a les logiciels de programmation (classiquement utilisés en cours de modélisation, on aura Maple©, SciLab©, etc), les logiciels de modélisation dynamique déterministe (e.g. Stella©), les logiciels de statistique (e.g. le logiciel libre R). En référence à ses usages dans un cadre pédagogique, on entendra donc par simulation une application, développée avec un outil logiciel ou Web, faisant des calculs numériques à partir d’un modèle.
Une simulation peut parfois s’accompagner d’une animation, qui est alors un graphique animé sur lequel on peut agir. Les actions de l’utilisateur sont prises en compte grâce à la simulation et donc au modèle. Cette animation représente par exemple le déroulement dans le temps du phénomène, ou bien les constituants d’un objet d’étude, de façon animée pour en faciliter l’accès. Ces animations, ces mises en scènes, sont créées dans un but pédagogique (Chomat et al. 1992, Tversky et al 2002) ou bien par le chercheur pour visualiser le déroulement dans le temps de son « expérience numérique».
Un mot qui sera très souvent utilisé est le mot expérience. Dans ce chapitre, il est employé au sens large et usuel pour parler d'une expérience humaine, qu’elle soit à caractère pédagogique, scientifique, ou autre. Quand cela sera nécessaire, le mot sera accompagné d’un adjectif pour préciser de quelle expérience on parle, par exemple s’il s’agit d’une expérience scientifique (au laboratoire de physique, de biologie, etc). On pourra se référer à Coquidé 2003 pour une présentation sur la polysémie du terme expérience. Je reviendrai sur ce terme dans l’introduction du chapitre 3.
La section qui suit est une revue de l'enseignement de la modélisation en biologie à l'université et des problèmes pédagogiques posés par cet enseignement. Nous entendons par enseignement de la modélisation des cours où l'on propose aux étudiants d'utiliser, modifier ou construire des modèles, dans le but de répondre à une question ou de résoudre un problème. Puis, le point de vue des scientifiques qui conçoivent ou utilisent des modèles est abordé (section 3) car nous pensons qu'il y a un lien entre la manière dont on modélise en tant qu'expert ou chercheur et la manière dont on apprend à modéliser en tant qu'étudiant. Et nous tenterons de préciser ce lien. Un cadre théorique est présenté en section 4 à partir duquel est construit la typologie des fonctions des modèles (section 5). Cette étude théorique aboutit à quatre fonctions des modèles pour celui qui est en situation de résoudre un problème ou répondre à une question par la modélisation (donc aussi bien pour le professionnel que pour l'étudiant). Ces fonctions des modèles sont de « calculer », « décrire », « expliquer » ou « indiquer ». Des pédagogies et des usages des outils de simulations privilégiés pour chaque fonction sont présentés.
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