télécharger 0.5 Mb.
|
E. DISCUSSION ET ANALYSE
Notre étude s’est démarquée par les caractéristiques suivantes :
Nous avons ciblé notre étude sur les départements du Val d’Oise et de la Seine-Saint-Denis uniquement. Nous n’avons pas interrogé pas la population d‘autres départements de l’Ile-de-France. Ainsi, la diversification des échantillons pourrait être questionnée. Cette limite s’explique par des soucis d’organisation pratique : il eût été difficile de parcourir l’ensemble de la région parisienne pour réaliser l’échantillonnage, compte tenu du volume horaire nécessaire à la réalisation de ce type d’étude. De plus, nous avons arrêté l’échantillonnage une fois la saturation théorique des données atteinte. Il est important de préciser que le critère de l’origine géographique des participants n’a été retenu ni dans la réalisation du guide d’entretien, ni dans l’exploitation des résultats. Par ailleurs, nous avons interrogé uniquement des adolescentes scolarisées en milieu public. Notre étude comporte un biais de sélection des adolescentes et des médecins, de par leur volontariat à la participation à l’étude. La petite taille de nos échantillons, médecins et adolescentes, est à prendre en compte dans le degré de généralisation des données extraites de notre étude.
La neutralité absolue de l’enquêteur au moment des entretiens est difficile à affirmer formellement. Il n’est pas exclu que des changements d’attitude, de tonalité dans la façon de mener les entretiens et de poser les questions aient eu une influence sur les réponses des participants. Le contrôle des biais introduits par la présence du chercheur est illusoire. Il serait vain de nier leur réalité.
Le guide d’entretien destiné aux médecins a été modifié en cours d’étude. La validité interne de notre travail qualitatif a ainsi pu être réduite par effet d’instrumentation, malgré nos efforts pour conserver les mêmes thèmes d’une version du guide à l’autre. L’entretien de groupe a pu biaiser les réponses données par les adolescentes, en créant une émulation propice à des discours exagérément fleuris, ou au contraire aboutissant à une inhibition d’autres filles. L’impact de ce biais est cependant à relativiser par le fait que le groupe a également pu contribuer à faire émerger des idées chez les adolescentes, et favoriser la verbalisation.
Les données qualitatives de l’étude ont été soumises à l’analyse de ma directrice de thèse afin d’en augmenter la pertinence et la reproductibilité. Cependant, il est conseillé pour ce type d’étude de procéder à une triangulation de l’analyse, chose que nous n’avons pas pu faire du fait de contraintes matérielles, logistiques et organisationnelles. Ce principe consiste à valider les résultats par la recherche de leur convergence en variant les techniques de recueils de données.
Le thème de notre étude touchait à l’intime, au rapport au corps, à la nudité, à la sexualité. Ces sujets nécessitent que les jeunes filles révèlent une partie de leur intimité, ce qui peut s’avérer difficile dans cette période tumultueuse qu’est l’adolescence. Ainsi, quelques adolescentes se sont montrées peu bavardes lors de l’entretien de groupe. En méthode qualitative, la qualité de l’information obtenue dépend de nombreux biais inhérents aux interviewés. Chez les MG comme chez les adolescentes, nous avons dû nous adapter à la capacité d’extraversion de la personne interrogée (associations d’idées, capacité de pensées), à la participation psychologique des propos et aux mécanismes de défenses que l’interrogé déployait (fuite, rationalisation, projection, refoulement, oubli, identification, etc.). L’interviewé était par ailleurs naïf en terme de recherche qualitative.
Les adolescentes ont exprimé une réticence naturelle à consulter et à être examinée. Nous pouvons expliquer cette caractéristique par les éléments suivants :
Les médecins ont fait part de plusieurs éléments impactant négativement leur prise en charge des adolescentes :
En 2005, le concours de l’internat de spécialité a été remplacé par l’Examen Classant National (ECN). Dans notre étude, quel que soit l’ancienneté de leur formation, avant ou après 2005, les MG se sentaient globalement assez démunis lorsqu’il s’agissait de la pratique auprès d’adolescentes et ce, malgré la présence de deux unités d’enseignement se rapportant à la gynécologie et à la sexualité dans le programme de préparation à l’ECN 2004-2015 (43)(44). L’unité d’enseignement N°2 permet aux étudiants d’acquérir des connaissances sur la contraception, les anomalies du cycle menstruels, les métrorragies, la puberté normale et pathologique (43). L’unité d’enseignement N°3 comporte un item sur la sexualité normale et ses troubles et un item sur les troubles du comportement de l’adolescent (44). La formation initiale semble donc plutôt variée et vaste. Le sentiment de manque de formation des MG pourrait être la conséquence de l’obsolescence de leurs connaissances au bout de plusieurs années. Le manque de pratique dans le domaine de la gynécologie, pendant plusieurs années pourraient également expliquer cette différence de ressenti entre les MG exerçant en cabinet libéral avec une population de tous âges et les MG exerçant exclusivement en PMI, PF, ciblant une population adolescente. Les conclusions de la thèse d’Y. Charier, mettaient en avant les obstacles de formation et de pratique à la prise en charge de la gynécologie par les MG. (17) Les lacunes de la formation initiale tiennent également dans le fait qu’elle ne traite pas ou peu de situations pourtant fréquentes dans certains environnements d’exercice médical. Les MG se sont retrouvés en difficulté face à la gestion d’un suivi de grossesse chez des adolescentes, face à des cas d’excisions, face aux violences conjugales entre adolescents, devant l’orientation homosexuelle et les nouvelles pratiques sexuelles des adolescentes. En termes de formation médicale continue, les pratiques étaient hétérogènes. L’appétence des MG pour la gynécologie s’est révélée être le principal leitmotiv à l’actualisation de leurs compétences. Comme le soulignaient Levasseur et al. (48), l’investissement des MG dans le domaine de la gynécologie dépend de leur formation continue effective en adéquation avec les besoins de la pratique courante. Les MG de notre étude souhaitaient essentiellement améliorer leurs connaissances en termes de contraception, résultat également comparable à la littérature. (48)
Malgré l’item « Relation médecin- malade » à l’ECN, les MG ont tous fait état de leur difficulté à communiquer avec les adolescentes. Le fond et la forme de la communication a semblé creuser un fossé parfois entre les deux. Si la partie technique de ce type de consultation a semblé assez simple pour les MG, la partie psycho- comportementale était beaucoup plus délicate à gérer. Certains ont évoqué leur malaise face aux adolescentes, constatant un phénomène d’hyper sexualisation de leur corps. Les MG ont semblé perdus face à des contradictions comportementales de stabilité d’âge du début d’activité sexuelle et de nouveautés par la mise en scène sociale sexualisée du corps des adolescentes correspondent à la problématique de l’hyper sexualisation. Selon la psychologue québécoise Sylvie Richard- Bessette, la problématique de l’hyper sexualisation tient justement dans l’hyper sexualisation du corps et non de la personne dans sa globalité. Les praticiens ne sont pas formés à ces nouvelles conduites et revendiquaient leur besoin d’acquérir des bases solides en communication « nouvelle génération ». La nécessité de pallier cette carence semble indispensable comme le revendiquent le pédopsychiatre P. Benghozi et le gynécologue, Pr I. Nisand. (46)
Le besoin de temps pour dialoguer sur un sujet aussi intime que la gynécologie et la sexualité et mener à bien ce genre de consultation était ressenti chez les MG comme chez les adolescentes (27). Les données de la littérature confortent le ressenti des MG que nous avons interrogés. Ils évoquaient la complexité à gérer simultanément et en un minimum de temps de multiples motifs de consultation. (48). Des freins inhérents aux MG étaient également avancés comme le manque de motivation personnelle quant à la gynécologie et leurs représentations du contenu et du déroulement d’une consultation pour motif gynécologique.
P. Binder insiste sur l’importance et la complexité de la consultation de l’adolescent, soulignant un enjeu qui dépasse largement le motif initial (3). En effet, au-delà de la problématique de la sexualité, différents auteurs ont souligné l’importance du dépistage de pathologies fréquentes ou conduites à risque de l’adolescence, et souvent silencieuses comme la dépression, le risque suicidaire, le tabac (49) (50).
La multiplication des sources disponibles comme les sites internet, forums et amies, et leur facilité d’accès augmentent le risque de mésusage de l’information. En effet, la fiabilité des données recueillies peut être remise en question en fonction de leur origine et de leur auteur. Les adolescentes interrogées dans notre travail, bien que conscientes de ce risque, consultaient tout de même des sources reconnues comme peu fiables. Les MG soulignaient les méconnaissances techniques de leurs jeunes patientes vis-à-vis du préservatif masculin et de la pilule urgence, déplorant en conséquence le nombre important et croissant d’IVG chez les mineures. Le constat d’une augmentation du recours à la contraception d’urgence entre 1997 et 2005 chez les filles de 15 à 19 ans (17,1 vs 32,4% en Ile-de-France) (51), peut témoigner à la fois d’une bonne transmission de l’information sur les moyens de lutter contre les grossesses non désirées, mais également d’un défaut d’éducation ou d’acceptabilité d’une contraception au long cours. Les représentations des moyens de contraception auprès des MG et des adolescentes sont parfois des freins à la mise en place et à la prise d’une contraception efficace. En 2009, l’enquête de la sociologue Y. Amsellem- Mainguy, portant sur les informations et l’accès à la contraception d’urgence de 64 jeunes femmes âgées de 15 à 25 ans avaient mis en évidence que la contraception d’urgence était souvent méconnue et que de fausses informations continuaient d’être véhiculées sur ces pilules nommées trompeusement « du lendemain ». (52) Les représentations et les rumeurs colportées entre les adolescentes étaient nombreuses, favorisant surtout un sentiment de peur quant à la préservation de la fertilité après usage de cette pilule. De plus, la peur d’être jugée par les professionnels de santé, qu’ils soient infirmières scolaire, médecins ou pharmaciens, et le doute du respect du secret médical lors de la demande de la pilule d’urgence, expliquaient le peu de recours au MG.
Il est ressorti de notre étude que les principales craintes des jeunes filles (peur de l’examen pelvien, volonté du respect de l’intimité, pudeur) étaient connues des médecins. Ces derniers en avaient pleinement conscience s’efforçaient d’aborder les adolescentes en conséquence. Le paradoxe entre les grandes angoisses qu’elles ont manifestées à l’évocation de l’examen clinique et le vécu positif des adolescentes de leur première consultation témoigne d’idées reçues solidement ancrées. Ce paradoxe peut s’expliquer par le fait que les adolescentes ne semblaient pas avoir conscience des connaissances des médecins concernant leurs attentes.
Afin de faciliter le déroulement de la consultation pour motif gynécologique, les MG et les adolescentes ont évoqués des points qui se recoupaient. Favorables à la prise en charge d’un motif d’ordre gynécologique en médecine générale, ils évoquaient la nécessité de rendre plus solide la formation des MG en gynécologie, afin de le rendre plus compétent en la matière. Faciliter le dialogue entre les MG et les adolescentes reposaient sur l’anticipation du dialogue par le MG et le respect du secret médical. Expliquer dès le début de la consultation l’absence de réalisation d’examen pelvien était souhaité par les deux parties, conscientes de l’obstacle majeur qu’il posait à la venue et au déroulement de la consultation. Poursuivre les explications tout au long de la consultation afin de rassurer de la normalité de l’adolescente et notamment en cas d’examen clinique, était indispensable pour la majorité. Enfin, la confiance a semblé être la condition sine qua none de l’instauration de tout suivi.
Il est ressorti de différentes études que malgré l’accès à l’information favorisé par les médias télévisuels, papiers, et Internet, le niveau de connaissance des adolescentes restait insuffisant. Le rapport de l’IGAS d’octobre 2009 (18) pointait les insuffisances dans l’application des dispositifs d’éducation sexuelle en milieu scolaire. Ce rapport dénonçait aussi l’absence de bilan sur leur mise en place depuis la loi de 2001. A l’heure actuelle, les supports et la diffusion de l’information sont à remettre en question, d’autant plus que les jeunes n’ont pas forcément la capacité de choisir les données les plus fiables parmi toutes les sources disponibles. Il est vrai que l’INPES met à la disposition du public des sites de vulgarisation de et d’échange sur la sexualité et la contraception (www.choisirmacontraception.fr, www.info-ist.fr, www.onsexprime.fr) ainsi que la revue « Première consultation gynécologique »(2), mais l’impact de ces supports parait encore insuffisant. L’interaction directe avec un professionnel de santé parait indispensable.
Notre travail a mis en évidence que les adolescentes avaient tendance à s’informer auprès de leur entourage sur les questions de sexualité et du déroulement de la consultation pour motif gynécologique. Il est légitime de mettre en question la validité des informations qui leur sont transmises lors de ces échanges. L’importance d’avoir recours à un interlocuteur spécialisé est défendue par le Professeur Marcelli (45), selon qui les parents d’adolescents ne sont pas les mieux placés pour cette transmission: « aborder le territoire de la sexualité est plus complexe quand se mêlent information et émotions ». Les résultats de notre étude confirment ces difficultés de communication entre parents et enfants sur le thème de la sexualité. Lors des entretiens que j’ai menés auprès des adolescentes, certaines se sont montrées loquaces, d’autres plus renfermées, mais toutes ont témoigné d’un intérêt réel. Apporter des réponses à ces jeunes dans une démarche proactive, en organisant des débats dans leurs lieux de vie, en présence ou non de leur entourage, constitue selon nous une solution pertinente pour améliorer leurs connaissances. En effet, l’enjeu consiste en une éducation sexuelle, qui ne se restreint pas ’à de la transmission d’information, de savoir et de savoir-faire. Elle prend en compte les facteurs sociaux, environnementaux et personnels qui interagissent dans les problèmes de santé. Les outils utilisés pour cette démarche éducative devront être ludiques et vivants afin d’en améliorer l’impact.
Selon l’étude d’Y. Charier menée en 2009 (17), les médecins ressentaient la nécessité d’une formation adaptée, d’un cadre spécifique à la consultation de l’adolescent, d’une durée et rémunération adaptée, pour permettre une synthèse sur la santé de l’adolescent, les actions de prévention et l’éducation à la santé. Certains médecins de notre étude ont effectivement fait part d’un manque de connaissances lié à leur cursus de formation médical. En effet, le stage de gynécologie est facultatif dans la maquette de l’internat de médecine générale. Quant à la médecine de l’adolescent, très peu de stage la propose. Inclure de façon systématique et obligatoire une formation conjointe de ces disciplines serait bénéfique sur le plan médical. Le médecin généraliste peut difficilement devenir un spécialiste dans tous les domaines, mais une initiation à ces disciplines pourrait être envisagée dans le cadre de l’allongement prévu du cursus d’une année supplémentaire. |